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Jours d’hiver : film d’animation collectif


« Les pluies du long voyage ont détruit mon chapeau de paille et les tempêtes chaque jour ont déchiré mon vêtement ».

Par ces mots commencent un poème du japonais Bashô et sa version cinématographique. Les deux œuvres portent le même titre, Jours d’hiver. A l’origine, le texte est un renku japonais, forme poétique qui se compose d’une succession de haïku, ces poèmes très brefs écrits selon des contraintes métriques et thématiques précises. Le principe du renku est le même que celui des cadavres exquis surréalistes. Un poète, le maître, écrit un haïku en trois « vers » (même s’il est difficile de transposer exactement une métrique d’une langue à l’autre), puis un autre reprend le dernier vers pour en faire le premier de son propre haïku. Ainsi de suite jusqu’à ce que l’on décide d’arrêter. Bashô est le maître-poète qui a initié Jours d’hiver, renku composé de trente-sept versets. Kawamoto Kihachirô, maître japonais de l’animation de marionnettes, a été à l’origine du projet de film.

Il a demandé à des réalisateurs de cinéma d’animation d’illustrer chacun un verset du renku. Trente-sept réalisateurs ont répondu présents, japonais pour la plupart mais également belges, russes ou anglais. Parmi eux, plusieurs sont des maîtres du cinéma d’animation : le Belge Raoul Servais, qui avait obtenu la Palme d’or du meilleur court-métrage d’animation en 1979 pour Harpya, Isao Takahata, réalisateur du très remarqué Tombeau des lucioles, Alexandre Petrov, qui a remporté en 2000 l’Oscar du meilleur court –métrage d’animation pour Le Vieil Homme et la mer ou encore Youri Norstein, animateur russe dont Le Conte des contes a été sacré meilleur dessin animé de tous les temps en 1984 par un jury de professionnels américains. Ce dernier endosse le rôle de Bashô puisque que c’est lui que Kawamoto Kihachiro a choisi pour animer le premier verset de Jours d’hiver.

Selon le principe du renku, chaque poète connaît le dernier vers du haïku précédent, mais dans la version animée de Jours d’hiver, chaque réalisateur a travaillé indépendamment des autres, sans rien connaître de leurs méthodes, sans rien divulguer des siennes, se concentrant uniquement sur le verset qui lui avait été attribué. Au final, de nombreuses techniques d’animations ont été utilisées : marionnettes, dessins, papiers collés, pâte à modeler ou images de synthèse. Les personnages sont des humains, des animaux, ou des créatures hybrides. D’une scène à l’autre, l’atmosphère peut être comique ou lyrique. Un bûcheron dépouillé par un voleur est vengé par un arbre qui tombe sur le larron ; un camion se transforme en cheval hennissant. Plus tard un homme-papillon ne réussit pas à sortir de sa cage et une jeune femme s’évanouit dans l’herbe avant que la terre ne s’ouvre sous ses pieds. L’hétérogénéité des techniques et des styles a amené certains critiques à reprocher la disparité de l’ensemble, qui ne serait qu’un catalogue des différentes techniques d’animation actuelles. Un seul élément du film semble justifier réellement cette impression. A la fin de chaque séance, dans la continuité du film, un documentaire qui explique les procédés de création des différents réalisateurs est projeté. Il peut faire penser que le projet ne se suffit pas à lui-même et qu’il n’a d’autre intérêt que de présenter le cinéma d’animation japonais et européen. Même si le documentaire est de qualité, sa place n’est pas à la suite directe du film, qui n’a pas besoin de lui pour exister. Jours d’hiver est un film à part entière, pas une succession de mini-films d’animation.

Si le film peut avoir l’air d’être un patchwork, c’est que la forme-même du renku utilise le principe du collage. En réalité, chaque mini-film est bien lié au précédent, par la musique et par le texte. La musique, qui utilise principalement des instruments à cordes, a été créée pour le film par Ikebe Shinichiro et contribue à donner à l’ensemble une tonalité nostalgique caractérisante, même dans les scènes comiques. Entre chaque film, un carton blanc présente le texte original écrit en japonais et lu en voix off. La voix et le texte, comme la musique, lient les films les uns aux autres et font de Jours d’hiver un périple verbal, imagé et musical, un périple cohérent et ordonné.

La grandeur de ce film réside dans la pertinence du choix du cinéma d’animation pour transposer un renku . Entre les deux arts, des similitudes apparaissent, qui en font des formes amies. Le renku est un genre poétique contraignant : chaque poète doit obligatoirement reprendre le dernier vers du haïku du poète précédent, et chaque haïku doit évoquer de manière plus ou moins littérale une des quatre saisons ainsi qu’obéir à des contraintes métriques spécifiques. Le cinéma d’animation pourrait également se définir comme un art de déjouer la contrainte. Contrairement au cinéma qui filme une réalité préexistante (même si mise en scène ou transformée), le cinéma d’animation doit recréer une réalité ex nihilo. Cela impose un processus lent et une envie de « bricoler » un monde nouveau, d’en être l’artisan. Même si les images de synthèses sont massivement utilisées dans le cinéma d’animation, l’artisanat reste très présent et impose des contraintes techniques très fortes. Même certaines grosses productions sont entièrement réalisées à la main, comme Persepolis ou L’Etrange Noël de Monsieur Jack. Dans Jours d’hiver, un seul réalisateur a utilisé l’image de synthèse et l’animation par ordinateur, les autres ont travaillé artisanalement. C’est d’ailleurs en lisant une biographie de Bashô, qui expliquait que le poète avait longuement hésité entre l’artisanat et sa vocation de poète, que Kawamoto Kihachiro a eu l’idée de faire un film d’animation de Jours d’hiver. Le renku et le cinéma d’animation naissent tous deux de contraintes techniques que les créateurs choisissent de s’imposer. Le cinéma d’animation semble en ce sens une forme proche de celle du renku, capable d’en réaliser une adaptation cinématographique subtile.

L’intelligence de Jours d’hiver est de ne pas être une simple « mise en images » du texte japonais. Dans le cinéma d’animation, l’expressivité naît de la ligne plus que des mots. Chez Disney par exemple, Abou, le petit singe d’Aladin ou la fée Clochette de Peter Pan, sont des figures muettes ou en tous cas bougonnantes, dont la personnalité se fonde sur des mimiques. Jours d’hiver est une « histoire sans paroles », un film muet. Le haïku, qui est la base du renku, a pour but d’évoquer plus que de décrire, de faire naître une image à partir d’un nombre moindre de mots. Le cinéma d’animation se poserait en miroir de ce principe : il s’agirait de créer une image expressive pour remplacer les mots. Les deux procédés s’emboîtent parfaitement. Dans Jours d’hiver, le texte est lu dans son intégralité, en voix off, et chaque vers étant récité deux fois, selon le principe du renku, il est illustré de deux manières différentes. Le film n’impose pas une image au spectateur – reproche que l’on fait souvent à l’adaptation de la littérature au cinéma : la littérature ferait imaginer, le cinéma imposerait une image. Ici, deux images sont proposées pour un même vers : il s’agit de souligner la beauté du haïku qui crée une image furtive en quelques mots, et de montrer comment le texte peut faire naître une infinité d’images sans qu’elles ne se substituent à lui.

Le cinéma d’animation et le renku sont des formes d’art relativement marginalisées : le cinéma d’animation est souvent réduit à un public d’enfants ou de grands enfants et le renku reste une forme presque méconnue en Occident. La beauté de Jours d’hiver naît du dialogue que le film fait naître entre ces deux arts à la fois proches et éloignés.

Jours d’hiver, sorti le 17 octobre 2007.
- Réalisation : Kihachirô Kawamoto
- Scénario : Matsuo Bashô
- Musique : Ikebe Shinichirô, Ul Kôji
- Participation : Youri Norstein, Morita Noriko, Shimamura Tatsuo, Okuyama Reiko, Kotabe Yôichi, Alexandre Petrov, Yoneshô Maya, Urumadelvi, Hayashi Seiichi, Isshiki Azuru, Bretislav Pojar, Bowda Katsushi, Katayama Masahiro, Mark Baker, Itô Yûichi, Kurosaka Keita, Yokosura Reiko, Asano Yûko, Kifune Tokumitsu, Ishida Sonoko, Wang Bai Rong, Takahata Isao, Hikone Norio, Mori Masaaki, Furukawa Taku, Co Hoedeman, Jacques Drouin, Yusaki Fusako, Yamamura Kôji, Kawamoto Kihachirô, Ohi Fumio, Fukushima Hal, Ikif, Raoul Servais, Suzuki Shinichi, Ishida Takuya, Naka Taro, Nomura Tatsutoshi, Kuri Yoji
- Producteur : Shimamura Tatsuo
- Production : Imagica Entertainment
- Japon - 2003 - 65 min - Couleur et N&B.

Informations pratiques
Adresse, horaires, numéro de téléphone, liens...

lundi 18 février 2019,    Pauline