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L’ortolan et la gastronomie

Petit-fils d’aubergiste, cuisinier pour ses amis, Alexandre Dumas fut assurément une des plus fines gueules de son siècle. Dans son Grand Dictionnaire de la Cuisine, il livre des recettes, des anecdotes des histoires...en particulier sur les ortolans. Pour faire réfléchir les chasseurs et les mangeurs.


Un jour ce dialogue s’échangeait entre Antoni Deschamps, grand poète et philosophe pythagoricien, et Elzéar Blaze, chasseur comme Nemrod et spirituel comme Méry :

- Croyez-vous, demandait Antoni Deschamps à Blaze, qu’il soit permis à l’homme de tuer une perdrix, un bec-figue, un ortolan, un des ces charmants oiseaux enfin qui ne font de mal à personne et dont la vue et le chant nous réjouissent l’oeil et l’oreille ?

- Certainement, répondit Blaze, quand l’homme est muni d’un port d’armes, que la chasse est ouverte et qu’il chasse sur des terres qui sont à lui, ou sur lesquelles il a permission de chasser.

- Vous ne comprenez pas. Je vous demande si vous pensez que l’homme, réunissant d’ailleurs les conditions indiquées, ait le droit de tuer une perdrix, un bec-figue, un ortolan, créatures inoffensives, faites, comme lui, de la main du Seigneur ?

- Oui, sans doute, mais à la condition qu’il les mangera.

- On peut donc manger les perdrix, les bec-figues et les ortolans ?

- Avec délices, s’ils sont cuits à point.

- Mais l’abbé de Saint-Pierre... mais Pythagore...

- Disent le contraire, je le sais. Tant pis pour eux, nous devons les plaindre. Ecoutez-moi, je pose ce dilemme : ou nous devons manger les animaux, ou les animaux doivent nous manger.

- Vous avez peur que les perdrix ne vous mangent ?

- Ecoutez. Les perdrix font par an, l’une dans l’autre, vingt ou vingt-cinq petits. Restez dix ans sans en tuer, et leur nombre égalera celui des guêpes et des moucherons : alors, plus de blé, plus d’avoine, plus de raisin. Mangeons donc des perdrix, puisqu’il nous faut des chevaux ; mangeons des perdrix, puisque nous aimons le vin de Bourgogne, et par la seule raison que nous ne pouvons nous passer de pain, mangeons des perdrix. Ce droit de manger des perdrix nous vient de Dieu lui-même, qui, lors de la création, dit à Adam, notre aïeul à tous, et après le déluge à Noé, notre grand-père : « Vous serez maître de tous les animaux » Manui vestrae traditi sunt. C’est-à-dire je les livre à votre main. Pourquoi faire ? pour que notre main les porte à notre bouche, bien entendu. Ainsi, mangez tout ce qui vous paraîtra bon. L’homme n’est pas fait pour brouter l’herbe ; ses dents vous le prouvent. Pythagore, l’abbé de Saint-Pierre étaient de forts honnêtes gens ; mais ils n’entendaient rien à la cuisine. Laissez-les dire et mangez toujours. D’ailleurs, il est positif que si l’on écoutait tout le monde, on ne mangerait personne.

Je ne sais pas si Antoni fut bien convaincu par la logique de Blaze ; mais ce que je sais, c’est qu’il continua de manger, et qu’à une table où il était, il faisait très bien sa partie, quoiqu’il eût affaire à un plat d’ortolans.

Il est vrai que c’étaient des ortolans à la toulousaine, et que les Toulousains ont une manière à eux de savoir les engraisser mieux que personne, et quand ils veulent les manger, de les asphyxier en leur plongeant la tête dans du vinaigre très fort, mort violente qui tourne à l’avantage de la chair.

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Pour aller plus loin
jeudi 16 janvier 2014,    Marion Augustin